AUM et AWM: résonances entre Hindouisme et Islam

« Aum » pour les yogis, « Alif-Wâw-Mîm » pour les soufis : et si, dans l’intimité du Verbe, les traditions se répondaient, non pour se confondre, mais pour mieux résonner ?

AUM : un son, une totalité

Dans l’hindouisme, AUM (souvent transcrit Om) est une syllabe sacrée, considérée comme le son originel de l’univers. Elle est omniprésente dans la pratique spirituelle : on la chante en début de méditation, on la trouve gravée sur les temples, et elle est souvent considérée comme la forme sonore de l’Absolu, le Brahman.

Selon la Mândûkya Upanishad, texte majeur du Vedânta, AUM est constitué de trois sons :

  • A : symbolise l’état de veille (la conscience tournée vers l’extérieur),
  • U : représente l’état de rêve (la conscience intérieure),
  • M : désigne le sommeil profond (la conscience indifférenciée),
  • et le silence qui suit est le quatrième état (turīya), la pure conscience, inconditionnée.

AUM résume ainsi l’ensemble des expériences humaines, mais aussi le déploiement cosmique du Divin. Et pour en apprendre beaucoup plus: ॐ et les états de conscience (secrets et significations) ainsi que Secrets et significations du Om


La Shahâda : la clé de voûte de l’islam

Dans l’islam, la shahâda est la profession de foi fondamentale. Elle est composée de deux affirmations :

  1. « Lâ ilâha illa-Llâh » : « Il n’y a pas de divinité si ce n’est Dieu »,
  2. « Muhammadun rasûl-Llâh » : « Muhammad est le messager de Dieu ».

Il s’agit du premier des « cinq piliers » de l’islam : toute personne qui la prononce en toute sincérité est considérée comme musulmane. Elle affirme l’unicité absolue de Dieu (tawḥîd) et reconnaît Muḥammad comme le sceau des prophètes.

Mais au-delà de sa dimension dogmatique et juridique, cette formule est aussi, dans les cercles ésotériques soufis, un symbole de structure cosmique et spirituelle. C’est ici qu’intervient l’interprétation de Michel Vâlsan.


Michel Vâlsan, le soufisme et la symbolique des lettres

Michel Vâlsan (1907–1974), également connu sous le nom de Shaykh Mustafâ ‘Abd al-‘Azîz, fut l’un des représentants majeurs du soufisme en Europe au XXe siècle. Il était disciple de René Guénon (Shaykh ‘Abd al-Wâḥid Yahyâ) et traducteur du penseur soufi Ibn ‘Arabî. Dans ses écrits, Vâlsan insiste sur la fonction spirituelle de l’islam en tant que tradition intégrale.

Dans un texte intitulé « Le Triangle de l’Androgyne et le monosyllabe OM », il propose une méditation sur trois lettres arabes qu’il considère comme synthèse ésotérique de la shahâda :

  • Alif (ا) : lettre droite, verticale, symbolise l’Unité divine absolue, le Dieu transcendant (Allâh).
  • Wâw (و) : courbe et douce, représente le lien d’amour ou de miséricorde (wudd), mais aussi la descente du Verbe dans le monde.
  • Mîm (م) : circulaire, elle évoque la Manifestation, et en particulier le Prophète Muḥammad, dont le nom commence par un mîm.

Ces trois lettres — alif, wāw et mīm — sont mises en relation par Michel Vâlsan avec les deux pôles de la shahāda : Allāh (Dieu) et Muḥammad (le Prophète). Si le wāw n’apparaît pas dans la formulation littérale du credo, il est néanmoins introduit ici de façon symbolique, comme trait d’union subtil entre les deux Noms. Ensemble, ces lettres forment le son « awm », dont l’assonance avec « aum » (ou oṁ) de l’hindouisme est relevée comme significative, sans impliquer d’assimilation, mais suggérant une possible convergence phonétique et métaphysique.


AWM / AUM : une coïncidence significative ?

Le rapprochement phonique entre AWM (en arabe) et AUM (en sanskrit) n’est donc peut-être pas fortuit. Dans les deux cas, on retrouve une structure ternaire :

Élément Hindouisme (AUM) Islam (AWM)
1. Le Principe A = l’origine, le Brahman manifeste Alif = l’Unité divine (Allâh)
2. La médiation U = la transformation, l’état intermédiaire Wâw = l’amour, le lien, la miséricorde
3. La manifestation M = le monde manifesté, l’incarnation Mîm = Muḥammad, le sceau de la prophétie

Vers une écoute subtile

Cet article ne vise pas à mélanger deux religions différentes, ni à proposer un syncrétisme naïf. Il s’agit plutôt d’ouvrir une oreille intérieure à des résonances entre symboles. Dans les deux traditions, le son (qu’il s’appelle Aum ou qu’il se déploie en Alif-Wâw-Mîm) est chemin de connaissance et voie d’unification.

À une époque où les traditions sont souvent réduites à leurs dimensions sociopolitiques, il est salutaire de rappeler que derrière les langues, les noms et les formes, c’est l’infini du Verbe qui parle à qui sait écouter.


Sources

  1. Mândûkya Upanishad, versets 1 à 7. Une des plus courtes Upanishads, mais d’une portée spirituelle immense. Traduction conseillée : Jean Varenne, Upanishads du yoga, Le Seuil, coll. « Points Sagesses ».
  2. Michel Vâlsan, Le Triangle de l’Androgyne et le monosyllabe OM, article publié à titre posthume sur le site : dinul-qayyim.over-blog.com

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