Dans notre quête de compréhension des chemins spirituels, nous découvrons parfois des résonances intéressantes entre différentes traditions. Aujourd’hui, explorons un parallèle entre deux voies spirituelles distinctes : le voyage mystique de l’ascension nocturne dans la tradition islamique et le système des chakras dans la tradition yogique.
L’ascension nocturne : un voyage mystique extraordinaire
Dans la tradition islamique, un événement mystique extraordinaire occupe une place centrale : l’Isra et Miraj (littéralement « le Voyage Nocturne » et « l’Ascension Céleste »). Ce récit, mentionné dans le Coran (sourate 17, verset 1) et détaillé dans de nombreux textes de la tradition prophétique (hadith), relate une expérience spirituelle unique vécue par le Prophète Muhammad vers l’année 621.
En une seule nuit, guidé par l’archange Gabriel, le Prophète fut d’abord transporté de la Mosquée Sacrée de La Mecque jusqu’à la « Mosquée la plus éloignée » (Al-Masjid Al-Aqsa) à Jérusalem – cette première partie du voyage est appelée l’Isra.
De là commença le Miraj, l’ascension. Pour accomplir ce voyage, le Prophète fut accompagné par Al-Buraq, une créature céleste merveilleuse décrite dans les textes traditionnels comme ayant un visage de femme, des ailes d’aigle, un corps de cheval et une queue de paon. Cette monture divine, dont le nom dérive du mot arabe « barq » (éclair), pouvait se déplacer à une vitesse surnaturelle, atteignant l’horizon d’un seul bond.
Durant son ascension céleste, le Prophète traversa successivement sept cieux, chacun révélant des rencontres et des enseignements profonds.
- 1er ciel : Il rencontra Adam, le père de l’humanité.
- 2e ciel : Il fut accueilli par les prophètes Yahya (Jean-Baptiste) et Issa (Jésus).
- 3e ciel : Il rencontra le prophète Yusuf (Joseph), symbole de la beauté spirituelle.
- 4e ciel : Il rencontra le prophète Idris (Énoch).
- 5e ciel : Il rencontra le prophète Harun (Aaron).
- 6e ciel : Il rencontra Musa (Moïse).
- 7e ciel : Au plus élevé, il rencontra Ibrahim (Abraham), adossé au Bayt al-Ma’mur, la Kaaba céleste.
Au-delà de ces cieux, le Prophète atteignit le Sidrat al-Muntaha, le Jujubier de la Limite, un arbre céleste marquant la frontière de la connaissance accessible aux créatures. C’est là que même l’ange Gabriel dut s’arrêter, tandis que le Prophète poursuivit seul son voyage vers la présence divine.
Durant ce voyage, il fut témoin des merveilles du paradis (Jannah) et des tourments de l’enfer (Jahannam), recevant ainsi une compréhension complète des réalités spirituelles. Ce fut aussi dans ce cadre que fut prescrite la prière quotidienne (salat) comme pilier fondamental de la pratique islamique.
L’interprétation soufie : une dimension mystique
Les mystiques soufis, représentant la dimension contemplative de l’islam, interprètent ce voyage comme une métaphore profonde du cheminement spirituel. Pour eux, chaque élément du voyage revêt une signification symbolique :
- La traversée des sept cieux représente les étapes de purification de l’âme
- Les rencontres avec différents prophètes symbolisent l’acquisition de qualités spirituelles essentielles
- L’arrivée au Sidrat al-Muntaha (le Jujubier de la Limite) marque la frontière entre le domaine humain et divin
- Le point culminant du voyage représente l’union mystique avec le divin
Les chakras : la carte énergétique du Yoga
Pour les pratiquants de yoga, cette description de l’ascension céleste peut évoquer le système des chakras, un concept décrit dans les textes anciens comme les Upanishads et les textes tantriques. Le terme « chakra », qui signifie « roue » ou « disque » en sanskrit, désigne des centres énergétiques subtils agissant comme points de jonction entre le corps physique et les corps énergétiques plus subtils.
Ces chakras sont perçus comme des vortex d’énergie alignés le long de la colonne vertébrale, suivant le canal énergétique central Sushumna Nadi, lui-même accompagné des canaux Ida (lunaire) et Pingala (solaire). Dans la tradition yogique, bien qu’il existe de nombreux chakras mineurs, on compte sept chakras principaux, chacun étant associé à une couleur, un son fondamental (bija mantra) et des qualités spécifiques correspondant à différents aspects de notre développement spirituel et énergétique.
- Muladhara (chakra racine) : connexion à la terre, sécurité
- Svadhisthana (chakra sacré) : créativité, émotions
- Manipura (chakra du plexus solaire) : volonté, pouvoir personnel
- Anahata (chakra du cœur) : amour, compassion
- Vishuddha (chakra de la gorge) : expression, vérité
- Ajna (chakra du troisième œil) : intuition, sagesse
- Sahasrara (chakra couronne) : connexion divine, illumination
Points de convergence contemplatifs
Sans chercher à fusionner ces traditions distinctes, nous pouvons observer certaines résonances intéressantes :
- La progression verticale : Dans les deux traditions, le voyage spirituel est décrit comme une ascension, un mouvement vers le haut
- Les sept niveaux : La correspondance numérique entre les sept cieux et les sept chakras principaux
- La transformation progressive : Chaque niveau représente une étape de purification et d’élévation spirituelle
- L’union divine : Le but ultime dans les deux traditions est une forme de connexion ou d’union avec le divin
L’énergie transformatrice
Dans la tradition yogique, la kundalini représente une énergie spirituelle qui, une fois éveillée, s’élève à travers les chakras. De manière similaire, Al-Buraq dans le récit islamique peut être vue comme une force divine qui permet l’élévation spirituelle. Ces deux concepts, bien que distincts, évoquent la présence d’une énergie transformatrice dans le voyage spirituel.
Enrichir notre compréhension
Cette exploration parallèle nous permet d’enrichir notre compréhension des chemins spirituels, tout en respectant l’unicité de chaque tradition. Pour les pratiquants de yoga, cette perspective peut offrir un nouvel éclairage sur leur propre pratique, tout en développant une appréciation pour la richesse des traditions spirituelles du monde.
Il est important de noter que ces parallèles sont présentés dans un esprit de contemplation et de respect mutuel, non pour suggérer une équivalence quelconque. Chaque voie spirituelle possède sa propre intégrité et ses propres méthodes uniques de réalisation.
Cette exploration nous rappelle que, malgré leurs différences, les traditions spirituelles peuvent partager des thèmes universels qui résonnent dans le cœur humain : l’aspiration à s’élever, à se purifier et à expérimenter une connexion plus profonde avec un absolu.
Note du rédacteur: Il est important de préciser que cet article propose une lecture comparative et contemplative qui peut différer de l’interprétation doctrinale islamique dominante. Dans la tradition islamique, l’Isra et le Miraj sont considérés comme des événements historiques réels et miraculeux. Les parallèles établis avec les concepts yogiques relèvent d’une démarche réflexive personnelle et ne prétendent nullement représenter la doctrine islamique traditionnelle. Cette approche comparative est proposée uniquement comme une invitation à la réflexion sur les expressions diverses de l’élévation spirituelle, tout en respectant les différences fondamentales entre ces traditions.
Illustration: Sultan Muhammad, Public domain, via Wikimedia Commons