Dans notre quête de spiritualité et de sens, l’art sacré occupe une place unique, nous invitant à contempler l’invisible à travers le visible.
En s’appuyant librement sur une réflexion du philosophe Frithjof Schuon « Principes et critères de l’art universel » (en téléchargement ici), explorons ensemble ce qui fait la véritable essence de l’art sacré.
Pour nous, pratiquants de yoga et méditants, cette notion d’art sacré résonne particulièrement. Ne transformons-nous pas nos asanas en art sacré lorsque nous les pratiquons avec conscience et dévotion ? Comme dans l’art sacré traditionnel, nos mouvements suivent des formes précises, transmises par une lignée de maîtres, et visent à exprimer l’inexprimable à travers notre corps-temple.
Au-delà du religieux : l’essence du sacré
L’art sacré, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas simplement une expression artistique à thème religieux. Il est bien plus que cela : c’est un pont entre le monde matériel et le monde spirituel. Comme une forêt vierge qui nous émerveille par sa pure beauté, l’art sacré nous transmet une sagesse qui dépasse notre compréhension quotidienne. Il donne forme à ce qui n’en a pas, exprime l’inexprimable, et fait résonner le silence en nous.
Les trois piliers de l’art sacré
Dans nos pratiques méditatives, nous rencontrons souvent des yantras, mandalas et autres représentations sacrées. Comprendre ce qui fait leur essence sacrée peut profondément enrichir notre relation à ces supports de méditation. Mais qu’est-ce qui fait qu’une œuvre peut être considérée comme véritablement sacrée ? Trois piliers essentiels la définissent :
- Le contenu d’abord : il ne peut pas être choisi au hasard. Il doit respecter des modèles traditionnels précis, comme une partition que l’on interprète avec respect et dévotion.
- Le symbolisme ensuite : chaque détail compte. Les vêtements, les ornements, les gestes représentés suivent des codes précis qui portent du sens. C’est comme une langue où chaque « mot » est choisi avec soin. Cette dimension symbolique, nous la retrouvons dans chaque mudra que nous utilisons en méditation : chaque position des doigts, comme chaque détail d’une icône sacrée, porte un sens précis qui dépasse la simple forme.
- Le style enfin : l’œuvre doit s’exprimer dans un langage formel particulier, qu’on appelle « hiératique » – un style noble et solennel qui convient aux choses sacrées. Ce n’est pas le lieu de l’expression personnelle ou de la fantaisie pure.
La liberté dans la structure
Ces règles peuvent sembler contraignantes à première vue. Pourtant, elles sont comme les berges d’une rivière : elles ne limitent pas le flux créatif, elles le canalisent et lui donnent sa force. En suivant ces principes, l’artiste accède à une profondeur qu’il aurait difficilement pu atteindre par sa seule imagination. Cette approche fait écho à ce que nous expérimentons dans notre pratique : c’est en respectant précisément l’alignement d’une posture ou la technique d’un pranayama que nous accédons aux états de conscience les plus profonds. La précision devient alors un vecteur de liberté intérieure.
Le rôle essentiel de la tradition
Il est intéressant de noter que la tradition joue ici un rôle indispensable. C’est elle qui maintient le lien avec le sacré. Quand l’art s’en détache, il risque de perdre cette dimension transcendante, même avec les meilleures intentions esthétiques.
Mettre l’art sacré en pratique
Pour nous qui pratiquons la méditation, l’art sacré peut être un précieux support de contemplation. Il nous rappelle que la beauté, quand elle est ancrée dans une tradition spirituelle authentique, peut nous élever au-delà de nous-mêmes et nous mettre en contact avec une réalité plus profonde.
La prochaine fois que vous méditerez devant une image sacrée – qu’il s’agisse d’un Bouddha, d’un yantra ou d’un mandala – prenez le temps d’observer comment chaque élément a été placé pour éveiller en vous une compréhension qui dépasse l’intellect. Laissez cette conscience transformer votre regard sur ces œuvres, et peut-être aussi votre pratique elle-même.
Dans notre monde moderne où l’art est souvent réduit à une expression purement personnelle, ces réflexions nous invitent à redécouvrir une approche plus traditionnelle et spirituelle de la création artistique. Une approche où la beauté n’est pas une fin en soi, mais un chemin vers l’absolu. (Source illustration: Swastik Arora et Jamie Fenn sur Unsplash)
Cette interprétation sur l’art sacré est inspirée des réflexions de Frithjof Schuon dans « Principes et critères de l’art universel », qui nous offrent une perspective sur le lien entre beauté, tradition et spiritualité. En particulier sur ce passage (p.48):
« Un art est sacré, non par l’intention personnelle de l’artiste, mais par le contenu, le symbolisme et le style, donc par des éléments objectifs. Par le contenu : le sujet représenté doit être tel et non un autre, soit au point de vue du modèle canonique, soit dans un sens plus large, mais toujours canoniquement déterminé; par le symbolisme : le saint personnage — ou le symbole anthropomorphe — doit être vêtu ou orné de telle façon, non autrement, et il peut faire tels gestes, non tels autres; par le style : l’image doit s’exprimer moyennant tel langage formel hiératique, et non dans un style étranger ou fantaisiste. En résumé, l’image doit être sainte par son contenu, symbolique par les détails, hiératique par son traitement, sans quoi elle manque de vérité spirituelle, de qualité liturgique et, à plus forte raison, de caractère sacramental; l’art n’a aucun droit, sous peine de s’enlever sa raison d’être, d’enfreindre ces règles, et il a d’autant moins intérêt à le faire que ces apparentes restrictions, par leur vérité intellectuelle et esthétique, lui confèrent des qualités de profondeur et de puissance que l’individu a fort peu de chances de pouvoir tirer de soi. »