En cette première moitié du XXe siècle, alors que l’Occident découvre à peine les traditions spirituelles orientales, une rencontre extraordinaire se produit dans un petit village de Bavière. Paramahansa Yogananda, le maître indien qui introduisit le yoga en Occident, franchit le seuil de la demeure de Thérèse Neumann, une mystique catholique dont la vie défie l’entendement.
Cette rencontre, relatée dans le chapitre 39 de l’ouvrage « Autobiographie d’un Yogi », représente bien plus qu’une simple visite de courtoisie entre deux figures spirituelles. Elle incarne un moment rare où Orient et Occident se rejoignent dans une commune expérience du divin, au-delà des barrières des traditions religieuses.
Ce dialogue entre deux âmes d’exception met en lumière des phénomènes spirituels intrepellant, notamment l’inédie – cette capacité mystérieuse à vivre sans nourriture terrestre – et son équivalent yogique, le pranisme. À travers leur échange, nous découvrons comment des expériences mystiques similaires peuvent émerger de traditions spirituelles distinctes.
Dans cet article, nous explorerons cette rencontre historique et nous découvrirons comment deux êtres, issus de cultures et de traditions radicalement différentes, ont pu se reconnaître et se comprendre dans leur quête commune du divin.
Photo: Thérèse Neumann, C. Richard Wright et Sri Yogananda (Eichstätt,Bavaria, 17 juillet 1935) – source: Find a grave.
Paramahansa Yogananda : un pont entre deux mondes
Né en 1893 à Gorakhpur en Inde, Paramahansa Yogananda incarne l’émergence d’une spiritualité universelle capable de transcender les clivages culturels. Dès son plus jeune âge, sa quête spirituelle le conduit auprès de grands maîtres indiens, notamment son guru Sri Yukteswar, qui le prépare à sa mission : porter en Occident la science millénaire du Kriya Yoga. Cette forme profonde de Raja Yoga, transmise de maître à disciple depuis des générations, propose une approche scientifique de la spiritualité à travers des techniques précises de méditation et de développement de la conscience.
En 1920, Yogananda quitte les rives de l’Inde pour les États-Unis, devenant l’un des premiers maîtres yogis à s’établir durablement en Occident. Son approche novatrice consiste à présenter les vérités anciennes du yoga dans un langage accessible à l’esprit occidental, établissant des parallèles éclairants entre la science moderne et la sagesse védique. À travers la Self-Realization Fellowship qu’il fonde, il développe une méthode d’enseignement unique qui combine pratiques méditatives, principes spirituels et applications pratiques pour la vie quotidienne.
Son œuvre maîtresse, « Autobiographie d’un Yogi », publiée en 1946, dépasse rapidement le simple récit autobiographique. Ce livre devient un pont entre les traditions mystiques de l’Est et de l’Ouest, présentant des expériences spirituelles profondes avec une authenticité qui touche les lecteurs de toutes confessions. L’ouvrage révèle notamment comment les vérités essentielles se retrouvent dans toutes les traditions authentiques, qu’elles soient hindoues, chrétiennes ou autres.
C’est dans cet esprit d’universalité que Yogananda entreprend en 1935 un voyage en Europe, cherchant à rencontrer des êtres d’exception qui, comme Thérèse Neumann, manifestent dans leur tradition propre les réalités spirituelles qu’il connaît à travers le yoga.
Source photo:Yogananda, Public domain, via Wikimedia Commons.
Thérèse Neumann : une mystique catholique hors du commun
Dans le petit village de Konnersreuth en Bavière, Thérèse Neumann (1898-1962) incarne un mysticisme catholique qui captive autant qu’il interroge. Issue d’une famille modeste de tailleurs, rien ne prédestinait cette jeune femme à devenir l’une des mystiques les plus remarquables du XXe siècle. Son parcours spirituel extraordinaire commence paradoxalement par une série d’épreuves physiques qui transforment radicalement son existence.
En 1918, alors âgée de vingt ans, Thérèse est victime d’un grave accident qui la laisse paralysée et aveugle. Cette période de souffrance intense devient le creuset de son développement spirituel. Le 29 avril 1923, jour de la béatification de Thérèse de Lisieux, elle recouvre miraculeusement la vue après avoir prié la « petite Thérèse ». Cette première guérison est suivie d’autres phénomènes extraordinaires qui défient l’entendement médical : la disparition progressive de sa paralysie et, plus étonnant encore, l’apparition des stigmates en 1926.
Les stigmates de Thérèse Neumann présentent une particularité unique : chaque vendredi, elle revit la Passion du Christ dans des états extatiques profonds, pendant lesquels ses plaies saignent abondamment. Durant ces expériences mystiques, elle parle couramment l’araméen – la langue du Christ – sans jamais l’avoir étudiée, un phénomène qui intrigue les linguistes et les théologiens de l’époque. Ces manifestations s’accompagnent d’une capacité encore plus extraordinaire : depuis 1923, Thérèse ne consomme plus aucune nourriture ni boisson, à l’exception d’une hostie consacrée quotidienne.
Les autorités ecclésiastiques, conscientes de la portée de ces phénomènes, soumettent Thérèse à diverses observations médicales rigoureuses. Pendant quinze jours en juillet 1927, sous la surveillance constante de quatre sœurs infirmières, elle ne consomme effectivement rien d’autre qu’une hostie quotidienne, sans manifester le moindre signe de déshydratation ou de malnutrition. Ce cas d’inédie, documenté médicalement, devient l’un des plus célèbres de l’histoire moderne.
Malgré l’afflux constant de visiteurs et l’attention médiatique qui entoure sa personne, Thérèse Neumann conserve une simplicité et une humilité touchantes. Elle continue de vivre modestement dans sa maison familiale, consacrant sa vie à la prière et à l’accueil de ceux qui cherchent conseil et réconfort spirituel. C’est dans ce contexte qu’elle accepte, en 1935, de recevoir Paramahansa Yogananda, reconnaissant en lui, selon ses propres mots, « un homme de Dieu ».
Source de la photo: Bundesarchiv, Bild 102-00241 / Ferdinand Neumann – Bild urheberrechtlich geschützt / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 DE, via Wikimedia Commons.
Une rencontre au-delà des traditions
La rencontre entre Paramahansa Yogananda et Thérèse Neumann en 1935 représente un moment unique dans l’histoire du dialogue interreligieux. Loin des débats théologiques formels, cette rencontre incarne une reconnaissance mutuelle entre deux êtres ayant atteint, par des voies différentes, des états de conscience supérieurs. Le récit qu’en fait Yogananda dans le chapitre 39 de son « Autobiographie d’un Yogi » révèle la profondeur de cet échange. Source de la photo: Yogananda site.
Après un long voyage à travers l’Europe, Yogananda arrive à Konnersreuth, porté par son désir de rencontrer celle dont la réputation a traversé les océans. Apprenant que Thérèse séjourne alors à Eichstätt chez un professeur de séminaire, il s’y rend, malgré les restrictions habituellement imposées aux visiteurs par l’évêché. La réponse de Thérèse est immédiate et positive : elle accepte de recevoir « l’homme de Dieu venu d’Inde ».
Leur entretien se déroule dans une atmosphère de profonde communion spirituelle. Thérèse, vêtue d’une simple robe noire et d’un voile blanc, dégage une joie sereine qui frappe immédiatement Yogananda. Ce dernier est particulièrement impressionné par sa vitalité rayonnante, qui contraste avec son jeûne permanent. Lorsqu’il l’interroge directement sur son abstinence de nourriture, sa réponse, d’une simplicité désarmante, résonne profondément avec la compréhension yogique : « Je vis de la lumière de Dieu. »
Cette affirmation trouve un écho particulier chez Yogananda, qui reconnaît dans cette expérience les principes du pranisme, cette capacité yogique à sustenter le corps directement par l’énergie vitale universelle (prana). La réponse de Thérèse – « Je suis heureuse que vous compreniez comment je vis » – témoigne d’une reconnaissance mutuelle qui transcende les différences de leurs traditions respectives. Sans jamais avoir étudié les textes yogiques, Thérèse expérimente naturellement des états que les yogis décrivent dans leurs enseignements ancestraux.
Leur conversation, bien que brève, touche à l’essence même de l’expérience spirituelle. Ils échangent sur leurs expériences mystiques respectives, reconnaissant dans le vécu de l’autre des vérités qui leur sont familières, bien qu’exprimées dans un langage différent.
L’inédie et le pranisme : au-delà des lois naturelles
L’inédie, cette capacité mystérieuse à vivre sans nourriture matérielle, et le pranisme, son équivalent dans la tradition yogique, représentent des phénomènes qui défient notre compréhension conventionnelle de la physiologie humaine. La rencontre entre Yogananda et Thérèse Neumann offre une occasion unique d’explorer ces manifestations exceptionnelles à travers le prisme de deux traditions spirituelles distinctes.
Dans la tradition yogique, le concept de prana – l’énergie vitale universelle – est fondamental. Les textes anciens décrivent comment les yogis avancés peuvent développer la capacité de sustenter leur corps directement à partir de cette énergie, présente dans l’air, la lumière solaire et l’éther cosmique. Cette pratique, connue sous le nom de pranisme, repose sur une compréhension subtile des corps énergétiques et leur interaction avec les forces cosmiques. Les écrits yogiques mentionnent de nombreux maîtres ayant dépassé le besoin de nourriture physique, notamment le célèbre Giri Bala, dont Yogananda relate également l’histoire dans son autobiographie.
L’inédie de Thérèse Neumann, documentée médicalement, présente des caractéristiques remarquablement similaires, bien qu’exprimées dans un contexte chrétien. Depuis 1923, elle ne consomme qu’une hostie consacrée par jour, sans manifester le moindre signe de déshydratation ou de carence nutritionnelle. Les observations médicales rigoureuses menées en 1927 ont confirmé cette capacité extraordinaire. Pendant ces périodes d’observation, Thérèse maintient non seulement son poids et sa vitalité, mais continue également de perdre du sang chaque vendredi lors de ses expériences mystiques des stigmates, sans que cela n’affecte son état général.
Le parallèle entre ces deux phénomènes soulève des questions sur la nature de la conscience et ses capacités à transcender les limites apparentes du corps physique. La science moderne, bien que généralement sceptique face à ces manifestations, commence à explorer des domaines qui pourraient offrir des pistes de compréhension : l’influence de la conscience sur la matière, les champs bioénergétiques, et les états modifiés de conscience.
Un message universel pour notre temps
La rencontre entre Paramahansa Yogananda et Thérèse Neumann résonne avec une pertinence particulière dans notre monde contemporain, où le dialogue interreligieux et la quête d’une spiritualité authentique n’ont jamais été aussi essentiels. Au-delà des phénomènes extraordinaires qui ont marqué leur rencontre, c’est avant tout le message d’unité spirituelle qui émerge de leur dialogue qui mérite notre attention. Source de la photo: Yogananda site.
Ces deux êtres d’exception nous démontrent que les frontières entre traditions spirituelles sont plus perméables qu’il n’y paraît. Alors que Yogananda reconnaît dans l’expérience de Thérèse les principes du pranisme yogique, celle-ci valide intuitivement sa compréhension, illustrant comment des vérités identiques peuvent s’exprimer à travers des langages et des traditions différents. Cette reconnaissance mutuelle nous invite à dépasser nos cloisonnements religieux pour rechercher l’essence universelle qui sous-tend toutes les traditions authentiques.
Les phénomènes mystiques qu’ils incarnent, loin d’être de simples curiosités, témoignent des potentialités extraordinaires de l’être humain lorsqu’il atteint des états de conscience supérieurs. L’inédie de Thérèse et le pranisme des yogis nous rappellent que notre compréhension de la réalité et des lois qui la gouvernent reste limitée. Ces manifestations nous invitent à l’humilité face au mystère de l’existence et à l’ouverture d’esprit devant des expériences qui défient notre rationalité.
Pour les chercheurs spirituels d’aujourd’hui, qu’ils soient issus du yoga, du christianisme ou d’autres traditions, cette rencontre historique porte un message d’espoir et d’encouragement. Dans un monde où les divisions religieuses continuent de générer des conflits, l’exemple de Yogananda et Thérèse Neumann nous montre la voie d’une spiritualité capable de reconnaître et de célébrer l’unité dans la diversité.