Hatha Yoga et Bhakti Yoga : effort et abandon

Le chemin du yoga se décline en multiples approches, chacune adaptée à des tempéraments et des besoins spécifiques. Parmi ces voies, le Hatha Yoga et le Bhakti Yoga offrent deux perspectives contrastées mais complémentaires.

Le Hatha Yoga s’appuie sur une discipline rigoureuse, où le pratiquant devient l’artisan de son évolution à travers l’effort et la maîtrise des techniques. À l’inverse, le Bhakti Yoga invite à un abandon total, à une confiance absolue en une force transcendante qui guide et soutient. Ces deux approches ne s’opposent pas : elles incarnent les deux pôles de la quête spirituelle, entre action et lâcher-prise, effort et grâce.

Cette tension entre le contrôle et l’abandon trouve un écho séduisant dans les images symboliques de la tradition yogique, comme celle du singe et du chat qui transportent leurs progénitures.

Cet article est né de la lecture d’un unique verset du Yogashikha Upanishad, qui évoque « une progression de type singe » et de quelques mots éclairants d’Alain Delaye dans son dernier ouvrage Yoga d’Orient & d’Occident, p. 38.

Le Yogashikha Upanishad, texte moins connu que des œuvres majeures comme les Yoga Sutras ou la Bhagavad Gita, occupe néanmoins une bonne place dans la tradition yogique. Ce texte fait partie des Upanishads mineures, parfois classées parmi les Upanishads tantriques ou liées à la pratique du yoga.

Le verset en question est le 140ème du chapitre 1. Il illustre l’approche progressive et méthodique du yoga tout en offrant une clé d’interprétation qui dépasse le cadre strictement technique :


Sanskrit :
एकेनैव शरीरेण योगाभ्यासाच्छनैःशनैः।
चिरात्संप्राप्यते मुक्तिर्मर्कटक्रम एव सः॥ १४०॥

Translittération :
Ekenaiva śarīreṇa yogābhyāsāc chanaiḥ śanaiḥ |
Cirāt saṁprāpyate muktir markaṭakrama eva saḥ || 140||

Traduction :
« Grâce à la pratique du yoga avec un seul corps, lentement et progressivement, on atteint finalement la libération, comme dans une progression de type singe. »


Ce verset met en lumière la nécessité d’une pratique constante et patiente pour atteindre moksha (la libération). Le mot śanaiḥ śanaiḥ (« lentement, progressivement ») souligne qu’il n’y a pas de raccourci dans cette quête spirituelle. L’allusion au singe (markaṭa) pourrait refléter une progression par étapes, souvent irrégulière, demandant persévérance et adaptabilité, tel un singe qui avance par bonds successifs.

Cependant, cette image du « singe qui s’agrippe » ouvre également une perspective métaphorique lorsqu’on la compare à une autre symbolique courante dans la tradition yogique : celle de la « chatte transportant son chaton ». Ces deux images, profondément liées aux pratiques du Hatha Yoga et du Bhakti Yoga, offrent deux visions complémentaires du chemin spirituel.


Hatha Yoga : le bébé singe qui s’accroche au dos de sa mère

Dans la pratique du Hatha Yoga, l’effort personnel est central. Le pratiquant s’appuie sur des techniques spécifiques : les asanas (postures), le pranayama (maîtrise du souffle) et des pratiques méditatives ou purificatrices (shatkarmas). Ces outils sont comme les branches auxquelles le singe s’agrippe pour avancer. Ou encore, comme le bébé singe, fermement accroché au poils de sa mère et qui de la sorte l’accompagne dans ses déplacements jusqu’à la cîme des arbres.

Cette approche symbolise :

  • L’effort conscient : le yogi travaille activement avec son corps et son esprit pour progresser.
  • La discipline : comme le bébé singe qui doit rester vigilant pour ne pas tomber, le pratiquant de Hatha Yoga s’engage pleinement dans sa pratique.

Mais cette reliance à « l’outil » n’est pas sans ses défis : s’accrocher peut fatiguer, et l’effort peut devenir une source de tension. C’est ici que l’image du Bhakti Yoga vient offrir une perspective complémentaire.


Bhakti Yoga : le chaton qui s’abandonne dans la gueule de sa mère

Le Bhakti Yoga, ou yoga de la dévotion, repose sur une toute autre dynamique. Là où le Hatha Yoga valorise l’effort individuel, le Bhakti Yoga célèbre l’abandon total à une force supérieure (Ishvara, ou la Divinité).

Dans cette tradition, le pratiquant est comme le chaton porté par sa mère :

  • L’abandon total : le chaton ne s’agrippe pas, mais se laisse soulever par la peau du dos, en totale confiance.
  • La reliance à la grâce : le progrès spirituel ne dépend pas d’une technique ou d’un effort personnel, mais d’une ouverture du cœur et d’une foi inébranlable.

Une complémentarité essentielle

Ces deux approches – effort et abandon – ne s’opposent pas, mais se complètent. Et bien que l’effort soit nécessaire, il doit être accompagné d’un lâcher-prise progressif. La discipline du Hatha Yoga prépare le corps et l’esprit à s’abandonner ensuite à une expérience spirituelle plus vaste, telle que celle proposée par le Bhakti Yoga. De même, l’abandon du Bhakti Yoga ne peut être total sans une certaine préparation intérieure : le lâcher-prise demande du courage et une stabilité que l’effort peut cultiver.


Enseignements pour le pratiquant contemporain

Dans un monde où les approches du yoga sont souvent compartimentées, ces images offrent un rappel précieux :

  • Le chemin spirituel peut commencer par un effort tangible et rigoureux, où l’on s’appuie sur des outils concrets.
  • Mais pour aller au-delà, il faut apprendre à relâcher cet effort, à cultiver une confiance profonde et à s’ouvrir à l’inconnu.

Que vous soyez un adepte du Hatha Yoga ou du Bhakti Yoga, l’essentiel est de trouver un équilibre entre action et abandon, entre discipline et grâce. L’image du bébé singe et du chaton nous invite à réfléchir : où en sommes-nous sur ce chemin ? Et comment ces deux approches peuvent-elles enrichir notre pratique et notre vie ?

Photo des singes de Camille Couvez sur Unsplash

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