Le faire et le non-faire

Au premier chapitre des Yoga Sutrâ de Patanjali, douzième aphorisme, nous voici d’emblée situés au cœur même du yoga, en présence d’une des plus passionnantes polarités qui soient : l’agir et le non-agir.

« Abhyâsa vaîrâgyâbhyâm tan nirodhah » : L’arrêt des tourbillons dans le mental s’atteint au moyen de la pratique intense et du lâcher-prise. » (Y.S. I.12).

Tout le secret d’un authentique yoga est là, dans cette sublime dialectique entre l’engagement et le détachement. D’où l’importance de bien saisir les nuances des deux mots sanskrits utilisés pas Patanjali.

« Abhyâsa » est construit sur une racine-verbe, âs, et deux préfixes, abhî et â. As indique le projet, l’élan, le mouvement. Abhî implique à la fois la force et l’affrontement. A précise que tout cela se fait au bénéfice de celui qui agit. La pratique du yoga est ainsi présentée comme une action persévérante, intense, non dénuée de difficulté. Le yoga n’est pas pour les tièdes, on le savait déjà ! Il suppose un investissement personnel important et poursuivi tout au long de la vie.

« Vaîrâgya », qui est formé d’un substantif, râga, et du préfixe, vi. Râga est surtout connu dans son sens de mode musical convenant à telle heure, à telle émotion, etc. Dans son sens premier, râga est tout ce qui chatoie, brille, attire (de la racine-verbe, ranj, teindre en rouge). C’est l’univers des émotions, des attachements, des passions. Vi indique, au contraire, la suppression, la négation, le retrait. A travers vaîrâgya, le yogi prend donc du recul vis-à-vis de sa propre pratique, si intense soit-elle. Il se distancie, s’éloigne des attirances, y compris les plus subtiles, et se détache même de son devenir.

On notera au passage que cette double conduite de complet engagement dans l’action, sans pour autant s’identifier à elle, est également l’essence du message que l’on trouve dans la Bhagavad Gîtâ. Ce qui est parfaitement logique, puisque les Yoga Sûtra sont la synthèse et le texte normatif de tous les yoga.

Pratiquer et méditer « abhyâsa/vaîrâgya », c’est prendre conscience de la complémentarité des contraires, c’est apprendre à trouver son équilibre entre eux, à se situer ici et maintenant, acteur tout autant que témoin. C’est plénitude et vide, dont on sait qu’ils sont ultimement un même état.

(Extrait de Polarités et liberté de François Roux, publié dans le n°4 / Janvier 2009 de la Revue Française de Yoga : Equilibres sur les pieds).

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