[Vidéos] D’abord, s’abandonner soi-même… par Maître Eckhart

« … Le monde dit : « Je voudrais tellement vivre la piété et la ferveur que d’autres semblent vivre, être en paix avec Dieu comme d’autres le sont, être véritablement pauvre. » Ou encore : « Quoi que je fasse et où que je sois, je ne suis jamais satisfait. Je voudrais tant être loin de chez moi, sans affaires, dans un monastère ou un lieu reculé. »



Quelques paroles que frère Eckhart adressa à ses fils spirituels

En vérité, tout cela n’est autre que toi, ta volonté propre que tu suis constamment sans même t’en rendre compte. Que tu l’admettes ou non, jamais un mécontentement ne surgit en toi qui ne soit ta création.

Entendons-nous bien : fuir ceci, aller vers cela, éviter ces gens, rechercher manière ou occupation n’est que ton agitation. La cause de tes difficultés n’est pas dans les choses, c’est toi-même dans les choses. C’est pourquoi regarde-toi d’abord et quitte-toi. En vérité, tant que tu ne te libères pas de ton vouloir, tu auras beau fuir, tu retrouveras partout obstacles et inquiétudes.

Chercher quoi que ce soit dans les choses extérieures, la paix, un lieu de retraite, la société des hommes, telle façon d’agir, les nobles œuvres, l’exil, la pauvreté ou l’abandon de tout, quelle qu’en soit la grandeur tout cela n’est rien, ne compte pour rien, ne donne rien — surtout pas la paix. Pareille quête ne mène nulle part : plus on cherche ainsi, moins on trouve. Ayant pris un chemin faux, on ne fait que s’éloigner davantage chaque jour.

Que faut-il donc faire ? D’abord, s’abandonner soi-même et, de la sorte, abandonner toute chose. En vérité, celui qui renonce à un royaume, au monde même, en se gardant soi-même, ne renonce à rien. Mais l’homme qui se renonce lui-même, quoi qu’il garde, richesse, honneur ou quoi que ce soit, a renoncé à tout. (…)

Regarde et, là où tu te trouves, renonce-toi. Voilà le plus haut.

Sache que jamais personne ne s’est assez quitté qu’il ne trouve à se quitter davantage. Commence donc par là, meurs à la tâche : c’est là que tu trouveras la paix véritable, et nulle part ailleurs… »

Quelques paroles que le vicaire de Thuringe, prieur d’Erfurt, frère Eckhart, de l’ordre des Prêcheurs, adressa à ses fils spirituels qui lui posaient toutes sortes de questions lorsqu’ils étaient rassemblés pour la collation du soir.


Sources: « Maître Eckhart ou la profondeur de l’intime » par Eric Mangin. Émission diffusée sur RCF le 8 août 2015

… Dans sa prédication, Maître Eckhart invite le croyant à vivre le détachement. Il affirme qu’il est essentiel de se détacher pour vivre la relation à Dieu, une relation qui se joue au plus profond du cœur. Mais de quoi faut-il se détacher, et dans quel but?

Eckhart décrit un détachement à plusieurs niveaux. Initialement, il parle d’une démarche de négativité, consistant à se dépouiller de tout ce qui est extérieur pour retourner à l’intérieur de soi. Il reconnaît que ce processus expose la pensée à une myriade d’images, représentations, idées et concepts. Eckhart insiste sur la nécessité de se dépouiller de ces éléments, y compris des images et représentations de Dieu, soulignant que nos descriptions divines en disent souvent plus sur nous que sur la nature divine. Il encourage à laisser Dieu être lui-même, indépendamment de nos représentations.Cependant, une fois ce dépouillement effectué, Eckhart souligne que quelque chose de plus redoutable subsiste : c’est nous. À un niveau ultime, il affirme la nécessité de se détacher de tout, y compris de soi-même, de notre ego et de notre propension à nous approprier les choses.

Ainsi, le détachement, selon Eckhart, constitue un travail de libération permettant d’accueillir Dieu à l’intérieur de soi. C’est se détacher du monde créé pour le redécouvrir d’une manière nouvelle… (extrait de la vidéo: « Maître Eckhart ou la profondeur de l’intime »).


Sources: « Une Vie, une œuvre: Maître Eckhart aujourd’hui » par Michel Camus et Claude Giovannetti. Émission diffusée sur France Culture le 26 août 1994

… Selon Eckhart, Dieu n’est atteint que dans la mesure où on l’a dépouillé de tous ses noms, dans la mesure où on lui a refusé, toute cette polyonymie, c’est-à-dire cette accumulation de noms, tout le langage symbolique qui recouvre Dieu comme d’un pelage et le voile sous des images qui sont d’autant plus grossières qu’elles sont moins contradictoires.Eckhart reprend en ce sens le thème du symbolisme dissemblant. Une image est d’autant meilleure qu’elle est plus éloignée de ce qu’elle a à charge d’exprimer. Autrement dit, il y a plus de signification dans la caractérisation de Dieu comme pierre, comme caillou, que dans sa figuration en termes de lion, de soleil, selon l’imaginaire platonicien.

Cette théologie négative corrige et finalement abolit, cette démarche de la théologie affirmative dans laquelle on s’efforce de reconnaître Dieu comme tel en multipliant les approches, en le revêtant de tous les noms. La théologie négative qui dépouille Dieu de tous ces noms à pour terme le néant, c’est-à-dire l’absence de dénomination. Le néant divin n’est pas celui de la non-existence, d’un être qu’on aurait auparavant revêtu de l’existence et dont il suffirait ensuite de nier qu’il existe. Le néant divin est le néant comme objet, comme cœur, comme intention même du langage porté à son niveau exact, celui où il est en correspondance avec ce qui doit être dit. Le néant divin, c’est l’abolition des noms de Dieu… (extrait de la vidéo: « Une Vie, une œuvre: Maître Eckhart aujourd’hui »).

Les commentaires sont clos.